Entrevue avec M. Philippe Pellaton président d’inter Rhône
Qu’est-ce qu’une interprofession et quel est son rôle dans le milieu viticole? Quel est le rôle du président d’une interprofession? A quels challenges une interprofession et son président ont-ils à faire face? Quelles stratégies mettent-ils mis en place pour contrer les impacts des changements climatiques et ceux de la déconsommation du vin? Vous voulez en savoir plus? Alors plongez dans ce monde fascinant avec cette entrevue de M. Philippe Pellaton président d’Inter Rhône la deuxième plus importante surface viticole de France
Le rôle d’une interprofession et de son président
Claude Lalonde Vinformateur (CL) : Merci beaucoup de prendre de votre temps pour répondre à quelques-unes de nos questions. Alors vous êtes Philippe Pellaton président d’inter Rhône qui regroupe Côtes du Rhône et Vallée du Rhône la deuxième plus importante région viticole de France. Pourriez-vous préciser le rôle de l’interprofession et le rôle qui vous y jouez en tant que président?
Philippe Pellaton (PP) : Avec plaisir! L’interprofession comme vous l’avez dit recouvre un périmètre qui est très vaste. On est bien sûr dans le sud de la France, le long du Rhône entre les villes de Lyon et d’Avignon. Donc ce périmètre-là couvre plusieurs appellations ce qui en fait une richesse en fait.
Plusieurs régions sont assises sur une seule appellation. Si on regarde la Champagne par exemple, c’est une très belle interprofession mais autour d’un seul produit alors que chez nous bien sûr il y a plusieurs produits qui proviennent d’appellations régionales Côtes du Rhône , des Ventoux, des Luberon, des Costières de Nîmes donc la base de la pyramide , des appellations hiérarchisées telles Côtes du Rhône Villages mais également des Crus Gigondas, Hermitage, Saint-Joseph. Donc un périmètre d’appellations très vaste et aussi un périmètre humain très large et important.
Et ceci amène de la dynamique, des échanges, des discussions, des conflits parfois. Donc l’interprofession a en fait trois métiers. Bien sûr ce sont des organismes qui sont sous tutelle de l’état. Ce n’est pas simplement une association de bons copains qui se retrouvent et qui boivent des bons vins. C’est contrôlé par les pouvoirs publics, par l’état sous tutelle du ministère de l’agriculture.
Donc avec des missions régaliennes qui impliquent la collecte d’une cotisation (de la part des membres) et le bon usage de cette cotisation. Il y a un contrôleur d’état qui assiste à toutes nos assemblées générales et parfois aux conseils d’administration et qui s’assure du bon fonctionnement parce que, tout comme InterRhône, ce sont des organismes qui ont des budgets assez importants. Donc il faut que nous soyons vigilants. Chez Inter Rhône nous fonctionnons avec 60 salariés qui sont là au service des appellations et de ses responsables professionnels.
Trois métiers essentiellement dont la technique avec un institut technique qui s’appelle L’Institut Rhodanien qui va travailler sur l’adaptation aux changements climatiques, les diverses problématiques œnologiques, la réduction des produits de traitements, les nouveaux cépages résistants, à la sécheresse, aux maladies, donc un pôle de recherche et de développement.
Une partie économique ou on va traiter de l’analyses des marchés en France, à l’international, l’enregistrement des contrats interprofessionnels qui permet d’avoir une visibilité du marché, des volumes, des prix et d’ou on sort des statistiques et des indicateurs . La très grosse activité est la partie promotionnelle qui nous permet effectivement de faire de la promotion. Deux niveaux de promotion chez nous : Une promotion dite transversale qui embarque toutes les appellations ou on fait des opérations ou tout le monde est présent pour toutes les appellations. Ceci constitue la base de la promotion collective.
À cette base collective s’ajoutent des actions individuelles, appellation par appellation. Alors Côtes du Rhône peut bien décider d’aller en France ou à l’international, Gigondas peut faire le choix d’aller à New York ou à Chicago. Donc chaque appellation peut flécher différemment ses budgets sur tel pays, tel segment, tel positionnement. Donc ça c’est vraiment la mission de l’interprofession.
Quant à la gouvernance de l’interprofession elle est assise sur deux familles dont celle des producteurs donc des vignerons indépendants, des caves coopératives, des producteurs de vins, des producteurs de raisins et celle des négociants. Ces deux familles sont à parité dans l’ensemble des instances de gouvernance, que ce soit sur la partie promotion, conseil d’administration ou assemblée générale. Une vision paritaire et on a l’obligation d’avoir l’accord des deux familles pour avancer avec obligation de consensus. Faute de consensus on ne prend pas de décision. Il faut donc trouver la bonne formule qui satisfasse les deux familles.
Donc mon rôle est d’animer ce groupe-là, d’être proche des services pour être force de proposition, présenter ces plans d’action et de les faire valider et aussi d’écouter ce que veulent les professionnels aussi. On fait pas mal de réunions! Il faut être à l’écoute des tous les intervenants.
J’ai un rôle de décideur pur certains aspects de gestion de l’interprofession. Mais j’ai surtout un rôle d’animateur notamment dans la partie promotionnelle et technique ou le but est de mettre sur la table des sujets et des orientations et de les faire valider par les deux familles. Voilà donc ce qu’est mon rôle.
Quels sont les challenges auxquels vous faites face?
(CL) Pourriez-vous brièvement la situation qui prévaut dans votre vaste région et décrire les challenges auxquels vous faites face.
(PP) Sur la partie commerciale aujourd’hui nous avons des fortunes diverses en fonction des entreprises et des appellations. Les appellations qui ont plus d’image comme les crus des Côtes du Rhône aujourd’hui fonctionnent très bien sur des modèles économiques à haute valeur ajoutée mais sur des volumes qui sont plutôt contenus. Quand on est sur une appellation comme Gigondas c’est 40,000 hectolitres de vin produits contre une production totale de 2.5 millions d’hectolitres. Quand on est sur des crus on est effectivement sur le haut de la pyramide avec des volumes assez contenus, les prix sont relativement élevés et permettent aux vignerons et aux négociants d’être dans un modèle économique qui fonctionne et qui permet de rémunérer tout le monde.
Quand on tombe dans les appellations régionales qui sont pour nous la base de la pyramide c’est relativement plus complexe. Quand on est positionné autour des coûts de production et au-dessus alors là on fait face à certains challenges comme ce qui se passe à l’international avec ce qui s’est passé aux États-Unis, la position qui il y a sur la Chine aujourd’hui, la crise en Ukraine voilà. De plus des phénomènes de réduction de consommation en France amènent ces appellations, comme elles sont très volumiques, à avoir des fois des déséquilibres entre leur production et leur commercialisation.
Alors avec ces grandes appellations plus volumiques on fait face à plus de difficultés. C’est un problème de stocks. Aujourd’hui on estime qu’il y a autour de 3 à 4 mois de stocks en trop par rapport à la commercialisation donc ce n’est pas énorme. D’habitude nous avons un ratio de stock de 15 mois ce qui est optimum alors que nous sommes à 19 mois. Donc a a un peu dérapé et dès que ça dérape on a une déflation sur les prix parce qu’il y a des gens qui cherchent ça en fait, qui cherchent à faire baisser les prix.
Donc face à cette déflation sur les prix, les entreprises ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Vous pouvez avoir des entreprises qui sont relativement bien structurées, qui ont bâti des réseaux commerciaux historiquement et qui résistent en fait parce qu’elles ont leurs propres partenaires, leur propre positionnement et alors ça fonctionne.
Et il y a des entreprises qui sont moins structurées qui avaient pour habitude de vendre du vin à la citerne, du vin en vrac qui étaient embouteillé par des négociants ou d’autres metteurs en marché et ce marché il est plus compliqué.
Donc des fortunes diverses qui nous obligent nous à être à l’écoute. Le gouvernement a bien mis en place quelques mesures ou disons des ‘’mesurettes’’ , des aides très conjoncturelles, pour nous aider à passer l’année. Il y a une réflexion qui est engagée en France sur l’arrachage de vignes définitif pour 2025. La petite subvention qu’il y a n’est pas très intéressante donc il est difficile d’évaluer l’impact de telles mesures. Qui ira et qui n’ira pas, difficile à savoir. Possiblement 10% du vignoble est en trop et pourrait être définitivement arraché.
Et nous au niveau de l’interprofession le but est de bâtir des stratégies de promotion pour essayer de maintenir nos parts de marché. Donc on essaye d’irriguer tous les circuits de distribution. Alors en France on a des supports même s’ils sont peu nombreux sur la grande distribution pour à peu près 40% du volume. Alors c’est important ce volume. On aussi la partie cavistes, la restauration également sur lesquels nous avons des plans d’action et qui est assez en souffrance. On sent une problématique au niveau du pouvoir d’achat qui est très impacté. Et avec des multiplicateurs élevés au niveau du prix des bouteilles ça impacte la capacité au niveau du consommateur de se les permettre.
Enfin nous mettons un gros coup d’accélérateur et les projecteurs vers l’œnotourisme dans notre région. Nous avons segmenté le niveau qualitatif des caveaux, de la réception qu’on peut avoir dans nos chais etc. On essaye donc de mettre cette stratégie en mouvement. Le but est de créer de la dynamique, du mouvement, de mettre en lumière tous ces travaux qui sont faits et créer entre autres de nouveaux circuits. C’est en fait reprendre la main sur le tourisme. Il y a beaucoup d’organismes en France, les offices de tourisme, les centres régionaux de tourisme etc. Donc il y a beaucoup d’intervenants et sur un plan politique on a l’impression qu’on est en train de spolier ce tourisme. Beaucoup s’en s’on servis et l’ont utilisé et nous on trouve que nous sommes dépourvus de ça. Il faut reprendre le tourisme en main.
Après il y a toute la partie export qui est super importante avec une dizaine de pays sur lesquels nous investissons. Amérique du Nord, Canada, États-Unis, nord Europe et l’Asie qui est assez compliquée quand même. Nous sommes toujours restés faibles sur les volumes en Asie alors que nous nous sommes concentrés sur les pays Anglo-Saxons. Quant à l’Asie possiblement que nous n’avions pas la tailles des entreprises qui nous permettraient d’y aller. Donc nous n’avons pas été vraiment leaders sur cette région. Les volumes exportés vers cette région sont vraiment instables, un peu en yo-yo. En termes stratégiques ce n’est pas évident.
Les stratégies des diverses couleurs
VF : Une question plus spécifique sur les vins. L’année dernière vous avez annoncé un plan stratégique assez ambitieux qui comportait le développement agressif des vins blancs et des vins rosés. Ce plan visait aussi le développement de vins rouges possiblement plus légers. Qu’en est-il de ce côté?
PP : La performance sur les vins rosés est disons relativement chahuté en France. On est stable voire en légère régression de ce côté. Donc le plan sur les rosés est assez compliqué à mettre en œuvre. D’ailleurs les grandes régions productrices de rosés en France sont aussi dans la tourmente. Donc nous ne sommes pas épargnés par ces problèmes de méventes. Le constat sur le rosé démontre qu’on arrive sur un plateau. Est-ce que c’est un plateau qui nous permettra de mieux repartir. On verra dans quelques années. Mais clairement sur le rosé on arrive à un plateau. C’est vrai qu’il y a des appellations prestigieuses comme la Provence qui y sont allées mais également beaucoup d’IGP qui y sont allés mais bon.
Sur les blancs clairement on a une super performance. On a doublé nos volumes déjà autant au niveau de la production que de la commercialisation. Nous sommes passés de 6 à 12 % des ventes. On est en hausse pratiquement partout que ce soit en France sur tous les circuits de distribution ou à l’export. Mais bon on part de bas. Et globalement on sent qu’il y a une vraiment une dynamique légitime sur cette couleur. On propose des produits intéressants avec nos cépages et il faut suivre cette situation. J’espère qu’on continuera à progresser.
Quant aux rouges on vient d’engager un réel travail qui comprendra une segmentation de nos rouges entre effectivement ce que peut être un produit je dirais avec beaucoup de matière, relativement riche qui parfois pourrait correspondre plus aux crus des Côtes du Rhône et une forme d’innovation et de liberté sur les appellations régionales ou on pourrait aller chercher quelque chose de plus léger tant au niveau de la couleur qu’en degré d’alcool ou en fraîcheur.
Alors là il y a le travail qui est mené avec l’Institut Rhodanien sur les aspects du développement technique pour construire des éléments de langage. Pour être assez honnête avec vous la vraie question aujourd’hui c’est de déterminer quelles sont les parts de marché entre divers profils de vins rouges. Entre disons un joli rouge bien coloré, fruité, cœur de gamme, des produits hauts de gamme ou disons des vins rouges encore plus légers. Il faut définir et calibrer ces différentes strates de produits et clairement définir les parts de marchés potentielles.
On pourra donner de meilleures indications à nos vignerons qui, s’ils se décident disons à développer des vins rouges plus légers, sauront quel en est le vrai potentiel. Il faut aussi mieux définir chaque type de vin selon sa norme analytique quant à sa couleur et autres indicateurs ce qui qui aidera les vignerons et les œnologues à produire ces différents types et profils de vin.
Alors sur les blancs et les rosés les profils sont calés et on sait ou on va, autant pour les rouges on sait que ça existe, on sait qu’il faut y aller, on sait que ça ne s’adaptera pas à tout le monde mais pour l’instant on a de la difficulté à caler les volumes.
Le développement de la hiérarchie des appellations
VF : Vous avez parlé des crus et des villages avec noms géographiques. Vous avez dit que les ventes vont quand même bien. Ou vous situez-vous quant au développement de ces appellations plus qualitatives?
PP : On continue à la faire vivre et à l’alimenter et à la soutenir. Tout récemment en novembre l’INAO vient de reconnaître un 18e cru des Côtes du Rhône sur Laudun. Alors voila c’est fait. Il y a aussi l’appellation Costières de Nîmes qui part dans ces mécaniques avec des logiques de villages et Costières Villages et Costières Villages avec noms géographiques. Donc cette région est embarquée dans cette mécanique-là. On sait que ça apporte de la valeur. Il y a des exigences techniques et qualitatives c’est un processus très précis. Ça nourrit la stratégie oenotouristique puisque souvent quand on fait de l’œnotourisme on a besoin d’avoir ce produit très identitaire du terroir. Tout devient un peu plus simple au niveau de la communication surtout si le produit porte le nom de la commune.
Nous sommes une région qui avons pratiqué cette hiérarchisation des appellations après les crus il y en sort un à tous les 10 à 15 ans. Après Laudun au niveau des crus il n’y a pas d’autres dossiers de déposé. La mosaïque des Côtes du Rhône est quand même bien complète maintenant avec tous les villages qu’on a. Je dirais qu’il ne faut pas s’attendre à en sortir beaucoup plus.
Votre vision des 10 prochaines années
VF : Comment voyez-vous les prochaines 5 à 10 prochaines années?
PP : Le nombre d’impacts économiques et climatiques sont devenus super importants, très nombreux et permanents. On a l’impression qu’on ne va jamais avoir de répit. Quand ce n’est pas climatique, c’est économique, si ce n’est pas tel truc alors c’est politique. Je trouve que c’est une situation vraiment très difficile à apprécier qui a son impact sur les exploitations.
Le modèle économique est relativement complexe de nos jours. Donc un, il y a tout ce qu’on peut effectivement piloter, tenir entre nos mains et gérer; ça c’est la partie technique, l’adaptation aux changements climatiques, adaptation des cépages résistants etc. Il y a du travail qui a été fait. Il y a une partie recherche qui va nous aider à lutter contre ces phénomènes-là. Bien sûr si les températures deviennent trop extrêmes il y a des parts du vignoble qui disparaîtront. Malheureusement on le voit déjà. Par exemple la partie de Perpignan qui n’a pas reçu d’eau pratiquement depuis un an. Donc par rapport à ces impacts ce sont des régions qui sont maintenant considérées comme semi-désertiques.
Il y a des couloirs et des flux atmosphériques à des endroits ou il ne pleut plus. Ce n’est pas le cas pour les Côtes du Rhône pour l’instant mais on est toujours sous influence des épisodes méditerranéens avec cette mer qui se réchauffe et qui renvoie de l’humidité avec parfois des gros orages. Nous on n’est pas trop là-dessus. Cette partie climatique elle est complexe, sauf extrême, peut se gérer.
Plutôt inquiet de ces phénomènes de consommation qui sont quand même très évolutifs et abrupts je trouve avec cette nouvelle génération qui a des habitudes de consommation différentes face au vin. C’est très anxiogène de se retrouver presque du jour au lendemain avec des consommateurs qui ont disparus ou qui ont changés d’habitude. Je suis inquiet face à ces nouvelles habitudes de consommation de gens qui consomment moins ou pas du tout. On sent cette rupture par tranche d’âge avec ces générations qui aimaient boire du vin, le repas familial du dimanche et là on a une déstructuration évidente.
Je trouve que la question de la place du vin dans la société est relativement fondamentale et dépend des réponses qu’on saura apporter.
VF : Un gros merci M. Pellaton pour cette entrevue. Au plaisir de vous revoir l’année prochaine lors de l’événement ‘’Découvertes en Vallée du Rhône’’.
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