Rencontre des plus intéressante avec Brock Dagenais vigneron et ex-avocat au vignoble La Belle Alliance situé dans les Cantons-de-l’Est à Shefford. Le nom de ce vignoble provient de la Ferme de La belle Alliance située en Belgique qui a été rendue célèbre par Napoléon durant la bataille de Waterloo. C’est l’endroit que Napoléon avait choisi pour inspecter ses troupes avant cette bataille fatidique.
Véritable auto-didacte vinicole, après une carrière florissante comme avocat, Brock s’est lancé dans un vignoble situé dans les Cantons-de-l’Est et ce bien malgré lui. Brock voulait acheter et rénover un château en France et c’est en Estrie qu’il l’a trouvé. Mais oh surprise! Il y avait 7 hectares de vignes laissées à l’abandon sur la propriété dont le vendeur ne faisait même pas mention. Il est donc devenu par le fait même vigneron en achetant la propriété.
En 2015, après avoir nettoyé à la main quelques parcelles de vignes à la sueur de son front et vendangé ses premiers raisins, Brock s’est livré à une véritable boulimie d’apprentissage et pendant un an il a élaboré un nombre incroyable de cuvées différentes pour se faire la main. Il faut dire qu’avant de se lancer dans la viti/viniculture, il avait visité une quarantaine de vignobles au Québec et goûté la plupart de leurs vins.
Et depuis il est guidé par une insatiable quête de qualité qui font de ses vins des vins de terroir. Sa philosophie de viticulture est dure tant elle fait souffrir les vignes. Il faut qu’elles survivent. Son approche est minimaliste tant en viticulture qu’en viniculture et ses vins reflètent cette approche de qualité.
Notes de dégustation
J’ai goûté quatre vins dont le Toujours (vin blanc), l’Amour (vin rouge), Entre (vin orange) et Nous (vin gris). Beau témoignage entre deux personnes que Toujours l’Amour Entre Nous n’est-ce pas? Suite à la dégustation j’ai découvert une signature et des caractéristiques communes dans ces vins soient : l’éclat des notes de fruits, la sensation de minéralité et enfin l’énergie et la vivacité des vins. Et ils sont excellents et valent la peine d’être découverts!
La Belle Alliance, Toujours, vin blanc, Québec, Estrie, 2016, $30.00, cépages : Frontenac Gris 85%, Vidal 15%, , sucre : 5.5 g/l, alc. : 12.5%.
Ce vin a vieilli pendant 8 mois dans des barriques de chêne américain qui lui a apporté de la complexité sans lui transférer de notes boisées. Le nez est très aromatique sur des effluves de fruits blancs tels la pomme, la poire ainsi que quelques notes florales.
En bouche la texture est veloutée, l’acidité très présente et les flaveurs éclatantes de fruits perçues au nez dégagent une énergie débordante. C’est un vin incisif, bien droit supporté par une belle sensation de minéralité. Décidément un vin de bouffe qui fera un bel accord avec volailles grillées et fromages.
La Belle Alliance, Nous, vin gris, Québec, Estrie, 2017, $30.00, cépages : Marquette 80%, Frontenac Gris 20%, sucre : 5.5 g/l., alc. : 12.5%.
Ce vin gris (vin rosé) a été élaboré selon la méthode provençale. En fait on le retrouve assez souvent dans la région de la Camargue. Le nez est particulièrement discret sur des notes de caillou mouillé et d’un soupçon de fruits rouges (framboises). En fait ce qui caractérise ce vin ce ne sont pas autant ses arômes que l’énergie et la tension qu’il dégage.
En bouche la texture est veloutée, l’acidité très présente et le vin est doté d’une très belle structure. Il dégage une belle énergie ainsi qu’une belle sensation de minéralité qui perdure de façon assez surprenante.
La Belle Alliance, Entre, vin orange, Québec, Estrie, 2017, $30.00, cépages : Frontenac gris 100%, sucre : 4.0 g/l., alc. : 13.5%.
Le vignoble devrait identifier ce vin comme vin orange et non pas comme vin rosé car c’est carrément un vin orange bien typé. Au nez les arômes sont particulièrement intenses sur des notes de nectarines, de notes florales ainsi qu’un soupçon de notes épicées et de sucre d’orge. La bouche est d’une texture onctueuse, légèrement grasse et les flaveurs dégagent des notes de fruits vraiment éclatantes. C’est un vin qui déborde d’énergie et de saveurs. Un des bons vin orange dégusté à date!
La Belle Alliance, L’Amour, vin rouge, Québec, Estrie, 2016, $30.00, cépages : Frontenac noir 85%, Marquette 15%, sucre : 3.4 g/l., alc. : 12.5%.
Bien différent ce vin rouge! On le découvre sur des notes de crème de fruits rouges (cerises), quelques notes lactées, de chocolat au lait et de notes de cacao. J’avais l’impression au nez d’un porto tellement le profil aromatique lui ressemblait. En bouche la texture est bien veloutée et les tannins sont souples, fins et quelque peu serrés. L’ensemble dégage de la finesse et une certaine élégance. Il fera un bel accord avec des plats mijotés longtemps.
Les vins sont disponibles au situé au 239 Chemin de Fulford, Shefford, Québec . Vous pouvez rejoindre le vignoble : 450-539-0880 ou via le site web: https://www.labellealliance.ca/vinsdeterroir. Pour les commandes d’une caisse (12 bouteilles) ou plus, nous offrons la livraison gratuite pour les adresses au Québec qui sont de deux heures par voiture de la cave. Pour toutes autres adresses et pour les commandes inférieures à une caisse, on vous demande de nous laisser un e-mail pour que vous puissiez vous arranger de ramasser votre commande à notre cave ou à Montréal. Les taxes sont comprises pour les prix montrés sur le site.
Entrevue avec Brock Dagenais au Vignoble La belle Alliance
Claude Lalonde Vinformateur (VF) : ‘’Bonjour Brock, alors comment avez-vous débuté cette aventure et ce changement de carrière? Vous étiez avocat et vous êtes maintenant vigneron. Comment est-ce arrivé?’’
BD : ‘’En 2015 j’ai eu l’envie d’acheter un château en France pour m’établir là-bas. J’avais besoin d’un comme d’un renouveau dans ma vie, d’un nouveau projet. Mais il faut dire que la France c’était probablement trop loin et j’ai trouvé cet endroit magnifique à Shefford en Estrie. Cette maison inspirée d’un château en France était superbe et m’intéressait beaucoup. Lors d’une marche sur la propriété pendant le processus de vente, j’ai vu des vignes qui étaient à l’abandon complètement enfouies dans de mauvaises herbes. Le propriétaire ne mentionnait même pas la présence de ces vignes dans la vente. Quand j’ai vu ça je me suis dis eh! je vais avoir un vignoble !
Suite à l’achat de la propriété, nous avons commencé à nettoyer les vignes. Il nous fallait les libérer des mauvaises herbes à la main avec des ‘’weed-eaters’’ ce qui était énormément d’ouvrage. Aucun autre vignoble ne ressemble au nôtre du fait qu’il a été abandonné et qu’il est maintenant rescucité. Je n’étais certainement pas un vigneron, ni un agriculteur et j’étais probablement très naïf mais nous avons procédé à une grande revitalisation des vignes. Et ça a pris beaucoup de temps et de sueur.
Il me fallait tout apprendre car je ne connaissais rien à la viticulture et encore moins à la viniculture. J’ai pensé un certain temps aller travailler dans un vignoble voisin pour aller chercher de l’expérience. J’ai même pensé aller travailler en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande. Puis je me suis dit que basé sur mon expérience et mon approche personnelle à régler diverses problématiques que je trouverais des solutions selon mes propres méthodes, mes propres expériences. Et c’est ce qui est arrivé.
Après avoir dégagé une partie des vignes, j’ai fait les vendanges en 2015 avec les raisins qui me restaient car les oiseaux en avaient mangé une très grande quantité. Nous n’avions pas à l’époque des filets anti-oiseaux. Il nous est resté environ une tonne et demie de raisins. Nous avons donc congelé ces raisins et nous avons procédé pendant un an à élaborer diverses cuvées toutes aussi différentes les unes que les autres afin d’expérimenter. Approximativement à chaque 10 jours, on faisait dégeler une quantité de raisins et on tentait une nouvelle cuvée avec différentes levures, différentes méthodes de vinification etc. Nous faisions tout par nous-mêmes.
Il faut dire que j’avais visité une quarantaine de vignobles au Québec et j’avais goûté pas mal de vins. J’avais une bonne idée du genre de vin que je voulais. Mais il fallait apprendre comment le faire.
Alors pour le millésime 2016 j’ai eu de l’aide de notre œnologue et il m’a aidé à atteindre ce à quoi je visais comme vins. J’ai donc élaboré notre vin rouge et notre vin blanc cuvée 2016 que vous avez goûté. Ils sont pas mal en effet! J’ai compressé plusieurs années d’expérimentation en un an!! Et quelle année!
VF : ‘’Assez incroyable! J’ai bien apprécié ces deux vins qui sont en fait vos premiers vins qui suivent toute cette expérimentation.’’
BD : ‘’Incroyable non! On ne s’y attendait pas réellement. En 2015 nous avons dégagé une parcelle et demie (2 hectares) pour une tonne et demie de raisins. Puis au fil des autres années nous avons constamment dégagé de plus en plus de vignes existantes. En 2019 nous n’avons pas dégagé de parcelles supplémentaires mais on verra pour les années suivantes. Au total nous avons 258 acres de terrain dont une bonne partie serait propice à la vigne. On pourrait faire partie des plus grands vignobles au Québec si le tout était planté de vignes. Nous avons présentement 7 hectares de terrain planté de vignes.
En 2015 nous avons planté du Chardonnay qu’on incorpore dans nos cuvées afin d’aller chercher le profil aromatique qu’on vise. Et ce profil aromatique pour moi je le vois en couleur. Quand je goûte je perçois différentes couleurs ce qui est assez spécial. Et le Chardonnay donne une couleur spécifique lorsque je déguste. Je voulais avoir cette teinte dans mes vins. C’est littéralement comme peindre un tableau. Il n’est pas question d’embouteiller du Chardonnay car on en fait déjà d’excellents dans le monde et c’est plus facile pour eux d’aller chercher la maturité des raisins. Ici il nous manque en environ 18 jours d’ensoleillement par rapport aux régions de France qui dans sont dans la même latitude que nous. Non finalement, j’aime mieux me distinguer avec nos propres cépages.
Donc, afin d’élaborer les vins que nous aimons nous nous concentrons sur nos cépages autochtones. Nous utilisons aussi un palissage assez élevé pour aller chercher le maximum d’ensoleillement. De plus, grâce à ce palissage, le gel au sol n’atteint pas les raisins ce qui les protège. De plus, nous ne faisons pas de rognage de la vigne. En fait nous entourons les vignes autour du palissage au fur et à mesure qu’elles poussent. Ceci nous donne quelques journées de plus pour aller chercher l’ensoleillement nécessaire. On pousse le tout jusqu’à presqu’obtenir une vendange tardive.
VF : ‘’Certains vignobles au Québec peuvent aller pas mal loin pour optimiser l’atteinte de la maturité grâce aux vendangeuses mécanisées’’.
BD : ‘’J’aime bien ces vendangeuses! En une heure on réussit à vendanger ce qui prend normalement 10 personnes en une journée. Chez nous nous avons une belle pente et le long de cette pente la maturité est différente. Ça nous permet de prendre notre temps pour bien vendanger à la main et de cueillir les raisins selon une maturité optimale. J’aime bien ces vendangeuses mais on ne pourrait pas les utiliser ici à cause du palissage qui n’est pas approprié pour cet équipement.
VF : ‘’De plus en plus de vignerons ajoutent du Vinifera. Est-ce une bonne chose?’’
BD : ‘’Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Bon c’est vrai que nous en avons du Chardonnay. Et nous avons choisi un clone qui provient de Montpellier pour son système racinaire qui limite dans un certain sens la croissance de cette vigne. Ceci force la vigne à se battre pour croître et à former des racines qui s’enfoncent plus creux dans le sol mais qui sont plus solidement ancrées. Nous avons fait le contraire de ce que les autres font. Beaucoup d’autres vignerons choisissent des clones qui vont pousser rapidement avec un système racinaire qui demeure plus en surface. Ces vignes poussent plus vite mais sont en général plus faibles. On peut pratiquement goûter et sentir le nitrogène dans leurs vins.’’
VF : ‘’Combien de bouteilles produisez-vous maintenant?’’
BD : ‘’Nous produisons maintenant 33,000 bouteilles que nous vendons au vignoble. Nous n’avons pas réellement de système de distribution autre que le vignoble et quelques points de vente vers Montréal ainsi qu’une dizaine de restaurants. »
VF :’’ Quels sont finalement les challenges auxquels vous avez à faire face?’’
BD : ‘’Un de nos gros challenges c’est de bâtir notre notoriété afin que plus de gens viennent nous visiter et acheter notre vin. Notre deuxième challenge c’est la disponibilité de la main d’œuvre. Avec la Covid c’est carrément un problème. Tous les jours moi, ma femme et mes enfants sommes dans les vignes à travailler. Il n’y avait pas d’école à cause de la Covid et mes enfants ont pu nous aider. Cependant nous avons encore deux parcelles à dégager mais nous n’avons pas la main d’oeuvre pour le faire. Les travailleurs mexicains étaient en confinement à cause de la Covid.’’
VF : ‘’Et l’oeno-tourisme? Ne pourriez-vous pas avec votre château développer ce créneau?’’
BD : ‘’Bien qu’elle soit très grande, c’est une maison privée. Et elle est située en zone agricole et cette maison n’est autorisée que pour une unité familiale. Nous n’aurions pas l’autorisation d’en faire autre chose comme des réceptions, des mariages et autres activités du genre. On ne peut l’utiliser pour des fins commerciales. Nous avons réussi à obtenir une autorisation pour cette pièce qui est devenue notre boutique ainsi que pour notre terrasse derrière la maison. Nous utilisons cette dernière pour des réceptions pour les membres de notre Wine Club ou pour recevoir d’autres vignerons.
VF : ‘’Comment envisagez-vous le futur?’’
BD : ‘’Les Québécois vont accentuer leur consommation de meilleurs vins et nous aurons de plus en plus de monde qui viendront nous visiter.
VF: »Les gens se posent la question : pourquoi je paierais $30,00 pour une bouteille de vin du Québec? Que leur dites vous? »
BD: »Eh bien c’est à cause de la qualité du vin que nous produisons. Nous sommes une ‘’Boutique Winery’’ qui produit des vins de qualité. Je crois que nous avons des vrais vins de terroir. Je ne veux pas faire les mêmes vins que tout le monde.
Lorsque nous faisons face à une problématique de viticulture ou de viniculture nous ne choisissons jamais la voie la plus facile. La recherche de la qualité sera toujours le discriminant qui guidera notre choix. Par exemple nos vignes sont pleines de roches, nous n’avons pas enlevés les roches comme bien d’autres vignobles ce qui leur facilite la gestion de la vigne. Les vignes font entièrement partie de l’environnement et nous les faisons se battre pour leur subsistance. Celles qui survivent produisent nos vins. Celles qui meurent sont remplacées par les boutures de celles qui ont survécu. Donc nous croyons avoir de meilleurs raisins. Nous ne rognons pas les vignes, nous les enroulons autour du palissage
Nous n’utilisons aucun herbicide, nous désherbons les vignes manuellement. Nous n’étendons certainement pas de fumier sur nos vignes. Pas besoin d’insecticides ou des pesticides car nous avons des centaines d’hirondelles qui font ça pour nous.
Quant à nos vinifications, pour notre vin gris par exemple, nous n’utilisons qu’un pressoir manuel horizontal et n’utilisons que le jus de presse. Nos techniques de vinification demandent des efforts que d’autres ne voudraient pas mettre. Notre niveau d’intervention est carrément minimal. Les quantités de sulfites sont minimales. Nous laissons nos vins se reposer avant de le mette en vente. Nous mettons un gaz inerte sur le dessus de la cuve et nous le laissons dormir et jaugeons la température de la cuve tous les jours. Par exemple, le choc de l’embouteillage sur le vin dure environ 6 mois. Nous ne vendrons pas un vin avant.
Nous n’avons qu’un critère qui guide nos interventions et c’est le goût et la qualité du vin. On ne prendra jamais de décisions qui pourraient altérer négativement la réputation de notre marque. ‘’
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