Le Québec viti-vinicole vu par un oenologue conseil. Entrevue avec Jérémie d’Hauteville d’OenoQuébec.

par | Juin 3, 2020 | Information

Récemment j’ai écrit des articles sur divers vignobles québécois (Domaine Labranche, Saint-Pierre Le Vignoble, Vignoble Pomone, Vignoble d’Ovila) qui, coïncidence, ont tous un point en commun. À part de faire de très bons vins, ils font tous affaire avec le bureau d’œnologues-conseils OenoQuébec.

C’est en 2006 que Jérémie d’Hauteville et Richard Bastien tous les deux œnologues ont fondé leur entreprise. Après presque 15 ans, leur bureau conseil fait affaire avec une cinquantaine de producteurs (vins, cidres et alcool du terroir confondus) et de ce fait est le bureau conseil le plus représenté à ce niveau au Québec.

J’ai eu le plaisir de rencontrer Jérémie il y a quelques années au Vignoble Pomone et nous avions convenu qu’un jour je ferais une entrevue avec lui.  Mon but était d’obtenir son point de vue sur le développement des vins au Québec. Puisqu’il fait affaire avec une grande proportion des vignerons québécois, qui de mieux placé pour jauger de la situation de la viticulture et de la viniculture dans notre coin de pays.

Avant d’aller plus loin, plusieurs se demandent, mais qu’est-ce qu’un oenologue? Selon L’Union Internationale des Oenologues :

 »L’œnologue est le professionnel possédant le bagage technique et scientifique approprié qui suit toutes les opérations, depuis la culture de la vigne jusqu’à récolte des raisins, en passant par la vinification et la mise en bouteille, en supervisant et en déterminant ce qui est nécessaire, y compris pour les différents niveaux de production et les différentes catégories de consommation, afin d’assurer la qualité finale du produit.

L’œnologue est donc le professionnel de référence de la production vitivinicole. Son professionnalisme s’exprime principalement dans la responsabilité et la gestion des réalités œnologiques, avec d’importantes retombées également sur la salubrité et l’authenticité du vin et de ce fait vis-à-vis des consommateurs. » Pour en savoir plus cliquez sur le lien.

Entrevue avec Jérémie d’Hauteville

VF (Vinformateur) : « Pourrais-tu me décrire ton entreprise et comment vous l’avez développée? »

JH (Jérémie d’Hauteville) :  »Il faut savoir que R&J Oenology c’est le nom complet de l’entreprise qui chapeaute toutes nos activités. L’activité conseil avec les vignerons se fait principalement sous le nom d’OenoQuébec.

On va certainement recadrer notre image dans un avenir prochain. On a des activités qui se sont greffées petit à petit avec plusieurs noms mais l’activité conseil c’est principalement OenoQuebec. Depuis 2014 on est en partenariat avec un laboratoire d’analyse qui s’appelle OenoScience.

Site web d’OenoQuébec

C’est en 2006, qu’on a commencé cette aventure là avec Richard Bastien qui est œnologue également. Le but était de d’encadrer, d’accompagner les producteurs à partir du démarrage que ce soit dans le choix de la gamme de produits, le choix des cépages choisis selon plusieurs critères dont tout d’abord l’adaptation au terroir et climat du Québec, les buts visés par ces producteurs, les tendances de marché, ce qui leur plait, ce qui ne plait pas aux consommateurs etc.

Donc c’est un encadrement généralement complet de formation et de diffusion d’information selon le niveau d’expérience du producteur.

Petit à petit c’est un accompagnement jusqu’aux vinifications pour faire des vins que les gens aimeront. On diffusera autant d’information et de formation qui rendront le producteur le plus autonome possible pour qu’ensuite on puisse travailler avec eux encore plus précisément sur l’amélioration des vins. Les premières années comportent beaucoup d’information pour le producteur selon son niveau d’expertise.

Vignoble Labranche

Souvent au début, on n’a pas toute l’information pour optimiser les cépages, comme la composition bien précise du terroir, mais au fil des années on arrive à atteindre une plus grande précision au niveau de l’élaboration des vins. Et généralement on fait affaire avec des producteurs avec qui nous sommes en relation depuis plus de 10 ans.

Au fil des années, le type de conseil change et on devient beaucoup plus précis dans les vinifications et les cuvées produites car le producteur a acquis de l’expérience au final. On essaye de plus en plus de challenger les producteurs dans le but d’aller encore plus loin. »

Vignoble Pomone

VF : « Combien de vignerons du Québec avez-vous comme clients? »

JH : « Ça dépend du type d’engagement que nous avons avec ces clients. Il y a des producteurs avec qui nous avons de un à quatre rapports chaque année et d’autres avec qui nous avons des rapports beaucoup plus fréquents. Nous sommes en contact avec disons une cinquantaine de producteurs (vins, cidres et alcools du terroir confondus) au Québec avec des fréquences de rapports qui varient grandement d’un client à l’autre. Je ne sais pas si c’est représentatif à cause de ces différences. Nous sommes les seuls avec ce type d’infrastructure et qui travaillons de cette façon là. 

Ultimement je pense que nous sommes un des bureau conseil les plus représenté au Québec auprès des producteurs.

On aime bien être impliqués du début du raisin jusqu’à la commercialisation. On essaye de comprendre l’industrie dans sa globalité. Nous avons été impliqués de très près dans le développement de l’IGP, du côté technique et du cahier des charges.

Quant au côté agronomique, j’ai l’intention de m’y replonger car c’est le développement futur le plus important à venir.

Saint-Pierre Le Vignoble

VF :  «Est-ce que tu trouve que les vignerons québécois optimisent vos services? »

JH : « En général oui quand même. On sent que les nouveaux vignerons qui s’implantent font appel à nos services souvent via le bouche à oreille donc c’est positif. Après, c’est sûr que la façon dont on fonctionne on a plusieurs options et c’est le producteur qui va choisir. Soit un encadrement complet ou alors des encadrements moins complets focalisés sur certaines problématiques.

Globalement, dans l’ensemble, les producteurs utilisent bien nos services. Il y en a qui ont des idées précises de ce qu’ils veulent et généralement on va plus vite avec eux. Certains nous font énormément confiance aux tout début alors que c’est nous qui allons déterminer les cuvées et alors on cherche à les impliquer au maximum afin qu’ils en arrivent à déterminer ce qu’ils veulent précisément.

Souvent on va faire des essais et on leur demande de définir le profil de produits qu’ils préfèrent. Petit à petit ils s’impliquent de plus en plus dans le choix de leurs cuvées. C’est souvent quand on a fait ses choix dans ses cuvées qu’on arrive à mieux les vendre’’.

Vignoble d’Ovila

VF : « Quel est ton constat quant au développement du vin au Québec et de la qualité qu’on retrouve? »

JH : « Ce sont des bonds incroyables qui ont été faits dans les dernières années. Moi je suis arrivé au début des années 2000 donc bientôt une vingtaine d’années et c’est incroyable le dynamisme qu’on voit. La vitesse de croissance qualitative et quantitative est incroyable. D’une part il y a un dynamisme et de plus en plus un intérêt commun. Puis il y a des expériences agronomiques et œnologiques qui se font, des ressources très compétentes qui arrivent de partout qui viennent bonifier le tout. Rien que par rapport à l’équipement aux champs et aux chais il y a plus de moyens: par exemple, juste en investissant dans un bon pressoir, la qualité fait un bond considérable.

Avec ce qui se passe en ce moment il y a un intérêt marqué pour les produits locaux et les vins du Québec. Il y a un intérêt qui on l’espère va se prolonger et donc obligatoirement ça fait boule de neige. On a plus de ventes, plus de revenus ce qui permet plus d’investissements et on peut se donner les moyens d’optimiser tout ce qui est bon du raisin avec encore plus de précision grâce aux équipements additionnels’’.

Vignoble Pomone

VF : « Qui gagne la palme dans les vins québécois? Est-ce que ce sont les blancs, les rouges les rosés ou les mousseux? Est-ce que les vignerons devraient se concentrer sur les blancs et les mousseux? »

JH : « Ce n’est pas à l’homme de décider mais bien au terroir de décider ce qu’on va produire. C’est la région, c’est le climat. Et quand même c’est pour la majorité des vignobles et des terroirs, plus facile de faire des blancs que de faire des rouges au Québec. Je ne dis pas du tout qu’on fait des mauvais rouges. Mais on a vu que maintenant globalement avec l’encépagement il y a quand même plus de blanc de planté que de rouge. Les différences vont encore un petit peu augmenter avec, au final, possiblement 60% de blanc et 40% de rouge voire 70% de blanc et 30% de rouge. Bon on verra.

C’est quand même le climat et le terroir qui décident. C’est comme en Autriche, il y a plus de blanc que de rouge. Mais avec l’expérience les rouges qu’ils font, ils sont très bons aussi. Le rouge est peut-être un peu plus léger mais bon on va arriver à ça au Québec. Avant de dire que les blancs sont allés plus vite au niveau de qualité que les rouges au Québec, il faut faire une répartition des surfaces plantées. Mais c’est sûr que c’est plus facile de faire du blanc et du mousseux que du rouge.

Présentement on fait des rouges quelque peu légers et on arrive à les faire vieillir en barrique mais on a réussi en plus à sélectionner des cépages qui marchent plus que d’autres. On arrive à trouver maintenant la cible pour les vins rouges.

Les mousseux arrivent un peu plus. Oui on a un climat pour en faire mais il faut savoir que ce sont des investissements importants.  C’est plus coûteux de faire des mousseux en termes d’investissements. Les bouteilles il faut les garder pas mal de temps chez soi (méthode traditionnelle) avant de pouvoir les vendre si tu fais un élevage sur lattes. C’est pour ça que ça ne bouge pas aussi vite du côté des mousseux. On a quand même de bonnes dispositions pour en faire. La proportion va augmenter d’ici quelques années.

Vignoble d’Ovila

VF : « Parlons si tu le veux bien de cépages hybrides Vs les cépages Vinifera. Faut-il mettre plus d’accent sur le Vinifera? »

JH : « Le Vinifera (cépage international tels le Merlot, le Chardonnay etc.) je le vois bien au Québec. C’est sûr qu’il y a un intérêt à planter du Vinifera parce que ça fait des bonnes choses et le consommateur est réceptif. Après en termes d’investissements, financièrement c’est difficile d’avoir l’heure juste quand on sait qu’avec les hybrides ça semble moins cher. Les Vinifera il faut les protéger pendant l’hiver. Sauf qu’au final la bouteille de Vinifera pour l’instant elle est vendue plus cher. Alors on s’y retrouve. L’investissement que le producteur a mis dans le Vinifera est payé par le prix de la bouteille. Mais on pourrait se poser la question pourquoi les hybrides ne seraient pas vendus plus chers également?

Et même du point de vue du consommateur je trouve que c’est extrêmement intéressant de garder les hybrides. On les appelle les cépages hybrides mais on pourrait aussi les appeler les cépages québécois ou autochtones comme en Italie par exemple, ou en Géorgie ou en Autriche ou au Portugal (qui sont tous des pays dont les vins sont majoritairement élaborés à partir de cépages autochtones) .

Et ça fera une offre différente qui a la particularité qu’on arrive à faire de très bonnes choses. Donc, je ne suis pas pour le 100% Vinifera. Alors je ne peux pas dire est-ce que ça va faire 50/50, ou 20/80 mais moi quand je discute avec des producteurs je mets toujours ça en avant. D’ici quelques années ce sera très intéressant de garder des cépages hybrides comme le Saint-Pépin, le Marquette ou le Frontenac noir et faire des cuvées qui vont être différentes et qui vont être de vrais cépages québécois.

 Le consommateur québécois ou le touriste aura envie de dire le Chardonnay il est peut être très bon mais il se dira aussi j’ai envie de goûter au Saint-Pépin parce que moi je connais pas . On parlera alors de cépages internationaux et de cépages autochtones au lieu d’hybrides et de Vinifera. Avec ces termes, le clivage devient différent et moins manichéen. Et c’est sûr que ça fait des vins différents mais je pense que pour la marque future du Québec il faudra une proportion de ces cépages hybrides là pour montrer toutes les expériences et la valorisation d’une région.’’ 

VF : « Quels sont les principaux challenges à faire du vin au Québec? »

JH : « Selon moi, il y en a deux. Le plus important pour moi c’est l’enjeu agronomique. C’est à dire qu’au niveau œnologique et vinification on peut faire mieux mais on a gravi déjà beaucoup de marches. L’enjeu agronomique c’est que, encore une fois, on a beaucoup de points d’interrogation à ce sujet. Bon, déjà les superficies augmentent mais c’est sûr qu’on est en train de zoner ce qu’on va appeler le terroir québécois. Mais on ne le connaît pas encore parfaitement. Pour l’instant il y a des vignes qui sont plantées dans des endroits qui ne sont pas nécessairement les meilleurs. La vigne pousse, on en fait du vin mais ce n’est pas encore dans les meilleurs terroirs.

En zonant correctement les terroirs on trouvera les endroits où on pourra faire les meilleurs produits. C’est sûr qu’on a à peu près 700 hectares de vignes de plantées et qui produisent; peux être qu’on arrivera à 3,000 hectares en tout à peu près gros comme l’appellation Chateauneuf-du-Pape par exemple mais ce sera dans des zones vraiment plus précises que présentement. On se dira, mais là à cet endroit, ça ne me sert à rien de planter parce que c’est plus difficile de faire des vins de qualité. Donc il y a encore beaucoup d’espace ou on pourrait planter mais il va y avoir des zones encore plus précises qui vont permettre de différencier les vins et on pourra parler de terroirs viticoles les plus intéressants au Québec. Donc il y a ça comme enjeu.

Vins du Québec – nos régions

Ensuite après il y a les types de cépages, la taille car on n’a pas encore trouvé toutes les tailles idéales notamment adaptées à la rusticité hivernale de chaque cépage. Il faut mieux comprendre comment les cépages s’adaptent au Québec. Il faut mieux comprendre tout l’équilibre racinaire, foliaire et les quantités de raisins à viser, tout l’itinéraire technique pour bien comprendre l’optimisation des cépages par rapport au climat qu’on a.

On a pas mal de degrés jours oui équivalent à la Bourgogne mais on a quand même un hiver qui est quand même long, froid et neigeux avec une période végétative plus courte et avec souvent deux mois de moins que la Bourgogne. Donc la vigne elle doit pousser beaucoup plus vite. Et ça comment on fait pour s’adapter à ça? Il nous reste beaucoup de points d’interrogation à ce niveau.

Pour moi les enjeux sont agronomiques et commerciaux avec une industrie qui devient de plus en plus solide notamment avec ce qui se passe présentement avec l’intérêt des consommateurs pour les vins locaux. On a planté encore une petite graine de fidélisation et on sent que ça devient de plus en plus solide. Je ne dirais pas que c’est fragile mais encore je dirais un bon 5 ans encore de fidélisation du consommateur et d’élargissement et de facilitation à l’accès des réseaux de distribution pour dire que l’industrie du vin au Québec elle est là pour durer très longtemps.

Mais par rapport à l’enjeu agronomique même si c’est le côté commercial qui fait vivre les producteurs et l’industrie, l’enjeu agronomique pour moi c’est quand même là où il y a le plus de points d’interrogation. Et on peut aller beaucoup plus loin et faire qu’on arrive à une belle qualité’’.

Vignoble d’Ovila

VF : « Au point de vue développement durable et de l’agriculture bio, quels sont les possibilités et les développements? »

JH : « Il y en a qui vont arriver parce que déjà il faut passer par une transition de deux à trois ans donc ça veut dire que vers l’année prochaine il va y avoir des vignobles qui vont passer en bio. On a des hybrides qui sont plus résistants aux maladies, on a un climat qui est particulièrement chaud et humide l’été alors il faut faire attention, et c’est surtout la taille des structures (surfaces) qui nous permet quand même un peu plus d’être en bio. C’est plus facile de gérer 3 hectares en bio que d’en gérer 50. On a cette structure là qui est un avantage. Après il faut la volonté du producteur.

C’est sûr que si on pouvait avoir un vignoble 100% bio, tant mieux. Les motivations de passer au bio peuvent être la volonté réelle du producteur ou parfois un désir de s’adapter au marché mais le caractère positif c’est qu’on a des structures qui sont quand même de taille relativement petites à moyennes qui permettent d’avoir une gestion en bio.

Ça dépend beaucoup des investissements qui vont avoir lieu dans le futur parce que ça peut coûter plus cher aller en bio. Il peut y avoir un risque financier mais s’il y a des programmes de soutien ça pourrait aider à ce virage. L’industrie vinicole fait plus d’argent qu’avant mais ce n’est pas encore la panacée. Il y a des régions viticoles dans le monde qui gagnent plus d’argent. Si cette croissance au Québec permet des investissements intéressants et qu’on voit poindre des programmes de support à l’industrie, cette transition vers le bio sera plus facile. Ainsi le risque financier sera moins important. « 

VF : « Quel est le développement futur viticole et vinicole au Québec? »

JH : « Pour résumer ce que j’ai dit, il devrait y avoir une augmentation des surfaces, peut-être on aura l’équivalent d’une appellation comme celle de Chateauneuf-du-Pape avec 3,000 hectares. Ça veut dire qu’on aura de 5 à 6 fois la surface actuelle avec un débouché au niveau de la commercialisation encore plus important.

On verra une proportion de blanc et de mousseux qui va dépasser encore la proportion de rouge peux être 60/40 ou 70/30, on aura également une part des mousseux qui va augmenter ainsi que les rosés qui marchent très bien. Qualitativement on peut toujours augmenter, il va y avoir de plus en plus de vignerons qui vont encore plus s’affirmer , s’adapter aussi au marché et à la tendance de consommation. On voit même l’arrivée de vins oranges et tout ça, de plus en plus de vignobles en bio ça c’est certain qui feront éventuellement des vins en biodynamie et des vins nature. Donc une croissance en qualité et en quantité et l’industrie qui est là pour durer et dont on va entendre parler de plus en plus.

La contrainte agronomique elle est reliée aux contraintes climatiques où chaque année on a quand même un stress pendant l’hiver et le printemps avec les gelées printanières. Le stress du comment ça va se passer cette année du producteur demeure toujours important’’.

VF : ‘’Merci Jérémie et au plaisir de se retrouver autour d’une bomme bouteille d’un de tes producteurs’’.

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